18 novembre 2009 3 18 /11 /novembre /2009 10:13
Il ne faut pas croire les ONG !
L'explosion démographique des ONG (Organisations non gouvernementales) est un phénomène sociologique et politique majeur de la deuxième moitié du XXe siècle. Il y avait seulement six ONG internationales en 1854 et plus d'un millier après la deuxième guerre mondiale. En 2007, on estimait le nombre d'ONG internationales entre 40 000 et 60 000. Les ONG dites nationales ont poussé comme des champignons dans les pays émergents: elles seraient près de 600.000 en Russie et plus d'un million et demi en Inde!
Les ONG ont trusté - au sens anglo-saxon du terme - la voix de la société civile et sont désormais impliquées non seulement dans les forums de réflexion sociétale, mais également dans les processus de décision officiels. Elles agissent par ailleurs en instrumentalisant les médias comme autant de caisses de résonance. La globalisation des moyens de communication permet de mener en temps réel des campagnes de mobilisation de l'opinion publique et de pression politique à l'échelle internationale. De nouvelles stratégies de communication ont été mises en œuvre. Greenpeace a inventé les «commandos médiatiques» qui permettent d'orchestrer des événements symboliques à fort impact émotionnel pour défendre une cause.
Si elles n'ont pas le même visage, compte tenu de leurs tailles et de la nature de leurs engagements dans des domaines très divers, les ONG ont cependant pour «plus petit dénominateur commun» la caractéristique de revendiquer haut et fort des positions en prenant la parole au nom de la société civile sans pour autant avoir été élues par elle. Leur mission est la seule référence institutionnelle qui fonde leur raison d'être. Elles se pensent redevables seulement vis-à-vis de leurs membres et donateurs. Dans ce cadre, elles ont souvent affirmé le respect d'un contrat humaniste indépendant. C'était là le socle de leur crédibilité et la source de confiance qui, en retour, leur était toujours accordée a priori.
Deux schismes ont déchiré le petit cercle incestueux de l'aide humanitaire
1) le développement accéléré du «charity business» (commerce de la charité) - dont Bernard Kouchner a dénoncé les errements dans un livre écrit il y a plus de vingt ans.
2) l'impossibilité morale de rester neutre face à des situations devenues intolérables sur le plan humanitaire, ce qui l'a amené à prêcher «le droit d'ingérence».
Les pratiques de fund raising ont contribué à la consolidation économique et à la professionnalisation des ONG internationales. Elles n'ont plus rien à envier aux pratiques des firmes multinationales en terme de globalisation opérationnelle. En revanche, elles ont instauré et exacerbé des rivalités concurrentielles, avec pour conséquences la multiplication des niches marketing et des problèmes de gouvernance.
La tentation d'aligner les choix prioritaires sur les centres d'intérêts des donateurs («petits actionnaires» des ONG), de favoriser le traitement médiatique des crises sur le mode du sensationnel, et de privilégier une certaine idéologie populiste - au détriment de l'analyse objective des faits et de leur mission fondamentale d'information et d'éducation - sont devenus autant de dérives. La mise en place généralisée de règles de bonnes pratiques est devenue indispensable afin de réduire toute suspicion qui pourrait naître d'un manque de transparence de l'information associative.
Quant au renoncement à la neutralité institutionnelle, tradition héritée de la Croix Rouge - si elle a contribué à renforcer l'image d'indépendance et d'authenticité des ONG humanitaires opérant en zones de conflits - a malheureusement mené certaines dictatures à réduire les marges de manœuvre associatives sur le terrain, au détriment des populations laissées alors à l'abandon sans aucun recours à l'aide internationale.
Aujourd'hui, avec Olivier Berthoud, on peut qualifier la personnalité identitaire des ONG comme étant un mix de compassion, de profitabilité et de solidarité.
Avec le temps et les scandales, les critiques sont devenues plus fréquentes et plus incisives. Michel Galy explique comment les ONG internationales sont en fait des microsociétés importées du monde occidental qui, fonctionnant en circuits fermés, finissent par «dérégler les structures au cœur desquelles elles sont supposées travailler».
Dans les pays émergents, il est intéressant de noter la contestation grandissante des ONG internationales du Nord par les ONG régionales du Sud qui les accusent de «néo-colonialisme». Quant aux ONG locales, elles se comportent trop souvent en «amateurs» dans les situations d'urgence. Il n'est pas rare que leurs interventions «renforcent les réseaux parallèles d'exploitation des populations».
L'autre grande rupture est née avec l'émergence de l'enjeu écologique.
On a assisté à la focalisation quasi idéologique de certaines ONG dans ce domaine avec mise en cause radicale, parfois même musclée, de l'impact industriel sur l'équilibre naturel de notre planète. L'opposition à l'énergie nucléaire militaire, puis civile, en a été le mouvement fondateur. Il est essentiel de comprendre que le discours des ONG s'est alors trouvé dans l'obligation d'évoluer sur un nouveau terrain, celui de la gestion politique du risque technologique - leur revendication initiale étant que l'évaluation et la maîtrise des risques est un enjeu trop sérieux pour être laissé à l'entière discrétion des experts scientifiques et des autorités publiques.
Les politiques ont du alors développer des espaces de consensus publics sur les mesures à prendre pour les anticiper et les prévenir. Au grand dam des experts scientifiques, la perception des risques par les diverses parties prenantes de la société civile est devenue peu à peu aussi importante - et décisive - que la mise en évidence objective des risques avérés. De là est né le principe de précaution, inscrit désormais dans le traité de Maastricht et la Constitution française. De nos jours, sous les pressions associatives et médiatiques toujours plus radicales, ce principe est souvent biaisé, voire détourné et poussé dans ses retranchements opérationnels. Il est en train de devenir un «principe d'anxiété» pour reprendre l'expression de Gérard Courtois. Certains s'en inquiètent avec raison, car il pourrait alors être très dommageable pour l'innovation... et le progrès.
Published by Jean Louis ALONSO - dans DIVERS
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